Premier film en compétition à Cannes cette année, Timbuktu avait placé d’emblée la barre très haut. Au point que nombre de festivaliers le donnaient encore favori à l’heure du palmarès.Que le jury de Jane Campion n’ait trouvé aucun prix à accorder à ce film magnifique, qui raconte l’occupation d’une ville africaine par des « fous de Dieu », est un des mystères dont Cannes a le secret. Abderrhamane Sissako, qui est un habitué du Festival (tous ses films y ont été présentés), a eu la sagesse de ne pas s’en offusquer. On ne peut toutefois pas s’empêcher de penser que Cannes a manqué une occasion unique de primer un film africain qui est aussi un cri contre l’intégrisme religieux…
Pour filmer la main mise des djihadistes sur Tombouctou, Sissako procède par vignettes succesives, s’attachant aux pas d’un berger touareg et de sa famille, aussi bien qu’à ceux du chef djihadiste et de sa troupe, du juge chargé de faire appliquer la loi religieuse jusque dans ses délires et d’un imam local modéré, qui tente, sans grand succès, de refréner les ardeurs intégristes des occupants. L’amour, la haine, le désespoir et l’esprit de révolte cohabitent dans ce qui était autrefois la « perle du désert » et n’est plus qu’un village fantôme, où errent, comme des ombres, des femmes de plus en plus voilées et des hommes de plus en plus soumis. Le réalisateur mauritanien les filme tous avec la même empathie, la noirceur de leur sort contrastant avec la splendeur des paysages et les lumières sublimes du désert. D’une étonnante douceur compte tenu de la gravité du sujet, traversé d’éclairs de violence (les scènes de lapidation et de flagellation), de traits d’humour (la confession vidéo d’un jeune rappeur fraichement converti à l’islam radical) et d’instants de pure poésie (la partie de football sans ballon : une des plus belles scènes de cinéma de l’année), Timbuktu est un chef d’œuvre du cinéma africain. Mais pas seulement.