Ken Loach (80 ans et toutes ses dents) pouvait -il achever sa carrière de cinéaste engagé sur un film historique (Jimmy’s Hall, aimable biopic d’un révolutionnaire irlandais)? C’était mal connaître l’auteur de Kes, Family Life, Riff Raff et Ladybird que de le croire lorsqu’il disait avoir pris sa retraite. Le gouvernement et l’administration anglaise, contre lesquels il s’est élevé toute sa vie de cinéaste, n’ayant pas renoncé, de leur côté, à cogner contre leurs administrés les plus faibles, le vieux militant de gauche qui ne sommeille jamais en Ken Loach a repris la caméra pour dénoncer, une nouvelle fois, leurs abus. Et encore une fois, peut-être bien la dernière, il a su trouver la voie (et la voix) pour parler à notre intelligence autant qu’à notre cœur.
C’est bien de cœur qu’il s’agit d’abord.Celui de Daniel Blake (Dave Johns), honnête ouvrier menuisier de 59 ans, l’a lâché au boulot, dans la scierie de Newcastle où il travaillait depuis des lustres. Contraint au repos forcé, Daniel doit, pour la première fois de sa vie, faire appel à l’aide sociale afin de toucher une pension d’invalidité. Mais comme il n’a pas l’habitude de l’administration et qu’il est incapable de se servir d’un ordinateur (encore moins d’internet), ses démarches échouent. Le voilà obligé, le temps de faire appel de la décision, de faire semblant de rechercher un emploi qu’il ne pourra pas effectuer même s’il le trouve puisque son médecin lui interdit de travailler! Daniel veut bien jouer le jeu, mais il découvre rapidement que c’est impossible. Tout est, en effet, prétexte à sanctions, qui finiront par le faire radier purement et simplement des listes d’allocataires. Dans l’Angleterre de David Cameron, la chasse aux « profiteurs» de l’aide sociale (refrain également connu de ce coté-ci de la Manche) bat son plein...
Sur son chemin de croix, Daniel croise Katie (Hayley Squires), une jeune mère célibataire, en butte elle aussi aux absurdités et à l’inhumanité de l’administration.Pour ne pas que ses enfants soient placés en foyer, elle a été obligée d’accepter un logement à 450 km de leur école et elle risque d’être radiée de l’aide sociale parce qu’elle s’est présentée avec 5 minutes de retard à un rendez-vous.Heureusement, les deux vont s’entraider et ils pourront compter sur la solidarité et la sollicitude de leurs voisins et des bénévoles des associations d’aide aux plus démunis dont ils font désormais partie.
De cette trame à la Dardenne, Ken Loach tire un film plein de colère mais aussi d’humanité, qui ne verse jamais dans le misérabilisme et réserve même quelques bons moments de comédie (du genre dont on se dépêche de rire pour ne pas en pleurer). Du pur Ken Loach, dont la capacité d’indignation ne s’est jamais émoussée. S’il n’obtient pas une deuxième Palme d’or, il a déjà gagné celle du cœur.