Allez hop, remettons un peu de vie dans ce blog ! Car si si, il se passe des choses, mais je n'ai plus de temps !
Aujourd'hui petites nouvelles littéraires. En effet, pour commencer, une de mes nouvelles est publiée dans le numéro 101 la revue trimestrielle "Brèves" (éditions Atelier du Gué), dédiée à la publication de nouvelles . C'est une nouvelle que j'avais écrite il y a quelques années (car, il faut bien l'avouer, le blog de ma vie au cirque a quelque peu absorbé l'essentiel de mon énergie d'écriture, ces trois dernières années!).
Le thème de ce numéro est "Mémoire" et voici ce qu'en dit la quatrième de couverture : Le mot qui titre ce numéro recouvre l’une des principales facultés de l’esprit humain. Personnelle ou collective, la mémoire est la trace et l’empreinte de nos gestes.
Affective et magique, elle s’accommode des détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs autant qu’elle est peuplée des rêves qui nous font avancer, nous effraient ou nous construisent. La mémoire est l’écran où défilent nos jeux d’hier, nos amours inventés, nos paysages rêvés.

Pour les plus curieux, où ceux qui aiment ce genre littéraire, vous pouvez commander le numéro papier à 12 euros, et même ici en format numérique pour 5 euros : www.scopalto.com/revue/breves Pas cher ! (ouais je ne vous ai pas dit je me suis reconvertie en vendeuse de tapis!)


Bref, voici pour la bonne nouvelle. C'est moi c'est moi regardez :


Et là, petit jeu : où est Charlie ?...


À part ça, comme je ne peux pas vous mettre ici le texte de cette fameuse nouvelle (je crois que les éditeurs m'en voudraient un peu!), voici un lot de consolation. Ces trois dernières années, comme je le disais, je n'ai pas écrit grand-chose en dehors du blog de ma vie de maîtresse au cirque... sauf des petites histoires très courtes, inspirées par des photos de copains. J'ai commencé sur des photos de Bruno, et nous avons aussi rencontré d'autres photographes dont l'univers m'a parlé. Certaines photos m'appellent plus que d'autres, le modèle m'accroche et me fait signe qu'il aimerait me raconter son histoire... voilà comment ça naît.
Je commence donc aujourd'hui avec une photo de Julien Valantin (découvrez son site ici : www.julienvalantin.com ) Bonne lecture. :-)



Il n'y avait pas foule, à l'enterrement du vieux Germain. C'était bien normal : on ne lui connaissait pas de famille. Marié à vingt-cinq ans, veuf moins d'un an après, il était resté célibataire et sans enfant. Personne au village ne lui avait connu d'aventure. Il semblait préférer la solitude dont son métier de garde forestier ne le sortait guère.
C'est sans doute pour cela que "l'affaire des parisiens", comme on l'a nommée, a causé tant d'émoi par ici. Ils avaient acheté la maison aux volets verts, il y a pas loin de trente ans. C'était un couple d'une cinquantaine d'années, avec leur fille. Une beauté d'une vingtaine d'années qui entraînait un drôle de silence où qu'elle passe. Ils étaient plus que fortunés, ces gens-là, on racontait qu'en dehors de leur hôtel particulier à Paris ils avaient plusieurs maisons comme celle-ci. Ils avaient pris l'habitude de passer les mois de mai et juin ici. On les voyait très peu : ils étaient discrets, ces gens, et pas de notre monde, tout simplement. C'est comme l'huile et l'eau, vous savez, ça ne se mélange pas, ces choses-là.
La petite, pourtant, elle semblait à l'aise avec nous. Elle s'occupait des commissions, toujours très droite... pas hautaine, vous voyez, mais comme si elle était au-dessus de la mêlée. Elle imposait le respect, avec son beau visage et sa grâce. Elle partait souvent de promener dans la forêt avec un grand chien qui l'accompagnait partout et lui obéissait au doigt et à l’œil. C'est sans doute là qu'elle a rencontré Germain. Personne n'a jamais compris ce qui avait pu la pousser vers lui. Il en connaissait plus que n'importe qui sur la forêt et était encore bel homme, Germain, mais enfin il avait la cinquantaine bien sonnée... et puis comme je vous le disais : ce n'était pas le même monde.
Personne n'a jamais rien soupçonné, par ailleurs. C'est grâce au père Thibaut, qui ne sait pas mettre sa langue dans sa poche et qui travaillait comme jardinier chez les parisiens, qu'on a su toute l'histoire. Ce devait être la quatrième année qu'ils venaient, les premières grosses chaleurs du mois de juin étaient arrivées et c'est en bêchant un parterre sous une fenêtre grande ouverte que Thibaut avait tout entendu. Il paraît que ça criait, là-dedans, avec la mère qui n'arrêtait pas de répéter "depuis trois ans, mon Dieu, quelle infamie...", et le père qui crachait entre ses dents "un garde forestier...", d'une drôle de manière, comme s'il avait ôté un cheveu de sa soupe. Ils étaient repartis dès le lendemain, et la maison aux volets verts était restée fermée plusieurs années, après ça. Un jour le notaire était simplement venu planter un panneau "à vendre" dans la cour de graviers. On ne les avait jamais revus.
Germain est devenu encore plus taciturne après l'affaire, et c'est là qu'on a compris que c'était vrai et que Thibaut n'avait rien inventé. Je ne sais pas s'il restait des sceptiques, avant l'enterrement. Je dois avouer que même si j'y croyais, ça m'a fait un sacré choc quand la gamine est arrivée au cimetière. Comprenez, ça faisait plus de vingt-cinq ans cette histoire, et on avait tous plus ou moins oublié, mais je crois bien que tout le monde a fait le calcul des années écoulées tellement elle avait l'air d'être un fantôme du passé. Elle se tenait bien droite dans son corset et sa longue jupe de taffetas noir, elle s'est avancée dans un froissement de tissu et s'est arrêtée un instant, tournée vers le soleil comme tournée vers le passé. C'était un beau tableau, on aurait cru que le temps s'était arrêté net et tout le monde semblait retenir son souffle. Ensuite elle a pris une profonde inspiration et elle est allée poser sur le cercueil l'énorme rose bordeaux qu'elle tenait à la main. Puis elle s'en est retournée Dieu sait où, sans un regard pour nous, pauvres imbéciles qui n'avions osé bouger de peur que l'apparition se dissipe à la manière d'une fumée d'encens. Je crois que chacun a gardé cette image en tête, et parfois, quand je ferme les yeux, je la revois encore. Elle avait les beaux yeux noirs de Germain, mais à part ça, dame ! C'était le portrait craché de sa mère.