Il m’était devenu insupportable de rester spectateur passif devant les images de cette guerre. Certes, dès la première heure, de nombreux convois humanitaires s’étaient déjà rendus aux différentes frontières européennes avec l’Ukraine. Charger un Renault trafic de matériel de première nécessité pouvait sembler dérisoire face à l’aide internationale. Participer à ce vaste mouvement de solidarité n’allait pas changer le cours du conflit, mais je voulais agir à mon niveau. Une mission pour laquelle j’ai proposé à mon ami Alain Lefebvre de m’accompagner. Il a accepté et l’opération a été montée en 10 jours.
J’ai eu plusieurs expériences de missions humanitaires où nous avions emporté tout et n’importe quoi dont les populations que nous voulions aider, n’avaient pas besoin. Là, il fallait aller à l’essentiel en récupérant des médicaments, du matériel paramédical et des produits d’hygiène.
Quelques coups de téléphone plus tard, une partie du chargement était trouvée grâce à nos contacts et au Club de la presse de Normandie. Mais le plus gros du chargement a été fourni par le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS 76) qui centralise l’aide humanitaire pour l’Ukraine.


Alain réorganise le chargement après avoir donné 20 kilos de compresses strériles à la Croix rouge internationale du poste frontière

10 mai 2022, 7h du matin - Le véhicule chargé de 600 kg de matériel, prend la route de Vysné Nemecké en Slovaquie, poste frontière avec l’Ukraine. Deux jours de route, 2000 km après avoir traversé la France, l’Allemagne, la Tchéquie et la Slovaquie… Nous sommes enfin sur place. Notre contact est un médecin anglais. Manque de chance, il est reparti à Londres. Le médecin qui le remplace ne veut pas de nos médicaments, prétextant qu’il en a trop ! Moment de solitude. J’envisage déjà d’avoir fait ce voyage pour jeter plusieurs centaines de kilos d’aide humanitaire dans une benne à ordures. Un comble. Finalement, en discutant avec les responsables de la Croix Rouge internationale, ils acceptent une vingtaine de kilos de compresses stériles et de pansements contenus dans deux énormes sacs. Vingt kilos de compresses, ça fait du volume malgré tout. Nous ne serons pas venus pour rien. Ou presque. Ça m’aurait cependant couté moins cher de les envoyer par Chronopost.
Heureusement, plus tard dans la journée, lorsque nous somme allés au Camp de Transit de Michalovce à 20 km à l’Ouest de la frontière, les ONG et la Sécurité civile ont accepté tout le chargement. Ouf !

On se demande si on a tout compris ?

Retour au poste frontière, au moment où je suis un peu désespéré du peu de cas fait par le médecin de permanence pour mes médicaments. Puisque nous sommes là, avec Alain nous décidons, malgré tout, de commencer à faire des photos. Quelques rares réfugiés qui sont arrivés dans la nuit attendent le départ du car qui sert de navette pour les acheminer au camp de transit où ils pourront demander à bénéficier de l’aide internationale pour rejoindre un pays européen de leur choix.
Quelques photos plus tard, j’aperçois deux adultes et deux enfants, qui s’apprêtent à monter dans une voiture. Je pense naturellement que des amis sont venus les chercher. Je demande à la mère qui parle quelques mots d’anglais, s’ils sont réfugiés ? Elle répond par l’affirmative. : « Vous aller en Allemagne ou en Autriche ? ». « Non, me répond-t-elle, nous retournons en Ukraine » (!!!???). Je me demande si j’ai bien compris. « Oui, poursuit-elle en voyant mon étonnement, les Russes ont quitté la région où nous avons notre maison. Ils attaquent le Donbass maintenant à l’autre bout de l’Ukraine à plusieurs centaines de kilomètres, alors nous retournons chez nous. » J’en viens à me demander ce que je fais à ce poste frontière à 2.000 km de chez moi ?

Dès la frontière passée, les réfugiés reçoivent les premières informations pour la suite de leur voyage vers le pays d'accueil de leur choix

Les deux jours de voyage avec seulement 4 heures de sommeil, coincé sous le volant de mon véhicule utilitaire auraient-ils altéré ma perception de la situation ? C’est à ce moment qu’Alain vient me sortir de ma torpeur en m'annonçant que la frontière vient d’ouvrir et que des réfugiés arrivent. Ah ! Tous les Ukrainiens ne rentrent donc pas tous chez eux. Il y en a encore qui fuient leur pays.
Si j’étais arrivé à la frontière et qu’on m’apprenne que les Russes ont cessé la guerre, j’aurais compris. J’aurais surtout été ravi pour les Ukrainiens et j’aurais fait la fête avec eux. Là, j’aurais tenu un bon reportage. Mais à peine arrivé on me dit qu’on ne veut pas de mon aide humanitaire et les premiers réfugiés que je rencontre rentrent chez eux… Il y a de quoi être déboussolé.

Chaque jour 100 à 200 réfugiés
franchissent encore la frontière slovaque

Quelques réfugiés, seuls ou en famille, franchissent la frontière à pied. Rien à voir avec l’afflux vus les semaines précédentes sur les chaines d’information. Non, ils arrivent au compte-goutte. Mais comme je viens de l’apprendre, la guerre s’est déplacée à l’Est de l’Ukraine, il est donc logique que les Ukrainiens soient moins nombreux à fuir leur pays. Depuis, j’ai appris que sur 6 millions d’expatriés, un million de réfugiés sont déjà retournés en Ukraine. Mais à ce moment, au poste frontière, ce n’est que le début du processus de retour pour ceux qui résident dans des régions délaissées par les Russes.
Les réfugiés qui arrivent en Slovaquie, passent devant moi avec leurs valises à roulettes ou leurs sacs à dos. Ils sont aussitôt accueillis par le Haut comité pour les réfugiés (HCR) qui leur explique que les démarches ont été simplifiées à l’extrême pour être pris en charge, afin de rejoindre le pays de leur choix.

Si les Ukrainiens sont moins nombreux à fuir, ils sont encore 100 à 200 quotidiennement à passer en Slovaquie pour rejoindre le Camp de transit de Michalovce, seul habilité pour faire bénéficier les réfugiés d’une prise en charge officielle et gratuite. Ici, l’Allemagne où se trouve une importante communauté ukrainienne, arrive en tête des demandes d’asile. Une simple carte d’identité Ukrainienne suffit. La Sécurité civile slovaque se charge d’enregistrer les demandes des Ukrainiens et de les acheminer jusqu’à la gare. Des bénévoles sont aussi dans la gare et les trains pour les assister et servir d’interprètes.

Maksim, l'un des responsables de l'accueil du camp de transit de Michalovce

Pendant les deux jours passés à Michalovce, Maksim, l’un des responsables de l’accueil du camp de transit a été notre contact. « Vous seriez venus il y a encore 3 semaines, l’enregistrement fonctionnait 24h/24, me dit-il. Les Ukrainiens qui arrivaient par milliers aux postes frontières de l’Europe, avaient tous été témoins ou victimes des bombardements. Nombreux étaient ceux qui avaient perdu un ou plusieurs proches. Tous souffraient de syndromes post-traumatiques. La cellule psychologique du camp ne désemplissait pas ».
Au début de la crise, les permanents de la Sécurité civiles, les ONG et les bénévoles sont restés plus d’un mois au camp de transit sans rentrer chez eux. Ils dormaient sur place. « Nous accueillions à cette époque, plus de 1.000 réfugiés par jour. Aujourd’hui, c’est plus calme. La nuit il n’y a qu’une permanence et un réfugié qui arrive ici, se retrouve dans le train en moins de 3 heures. Mais nous restons mobilisés, car lorsque le Donbass sera tombé, les Russes seront peut-être tentés de revenir aux portes de l’Union européenne ».

Si aux frontières de l’Union européenne on observe une accalmie, la guerre est loin d’être terminée. Et comme Poutine est imprévisible, l’afflux de réfugiés pourrait reprendre à tout moment.