Ce bovidé à bosse, qui selon les spécialistes, descend d’une espèce indienne d’aurochs, a été introduit dans la Grande Île, lors des grandes vagues migratoires successives venues d’Afrique.
Il est très vite devenu l’emblème du pays. Autrefois symbole de la royauté, il n’a rien perdu de sa valeur aux yeux des malgaches. La possession d’un grand cheptel atteste de sa réussite financière et de sa puissance. Même si le propriétaire vit dans un petite cabane en bois, sans eau ni électricité.
Un zébu, selon son âge se négocie entre 100 pour un jeune et 300 euros pour un adulte. Une fortune dans ce pays quand on sait qu’une institutrice perçoit un salaire mensuel d’une soixantaine d’euros. Certains éleveurs possèdent plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de têtes. Le troupeau est tellement important à leurs yeux que nombreux sont les fermiers qui, aujourd’hui encore, préfèrent ne pas envoyer leurs enfants à l’école pour qu’ils gardent les zébus. Les bovins à bosse participent aux travaux agricoles et sont encore largement utilisés comme animal de traction. Sur les routes dans les villes et dans les campagnes, il n’est pas rare de croiser des charrettes tirées par une paire de zébus.


Outre son utilisation au quotidien pour tout type de travaux, au XXIème siècle, le zébu intervient toujours dans toutes les étapes de la vie. A chaque événement, il est de la partie. Mais à ses dépens.
Naissances, fiançailles, mariages ou funérailles, un ou plusieurs zébus, selon le rang social des personnes concernées, sont sacrifiés. Essentiellement des mâles. Les femelles sont trop précieuses pour la reproduction. L’animal paie aussi un lourd tribut à la communauté malgache, lorsqu’on entreprend la construction d’une maison ou d’un bâtiment public. La principale fonction du sacrifice, étant de s’attirer les bonne grâces des esprits.

Début mars 2019, j’ai assisté à la pose de la première pierre d’un dispensaire cofinancé par l’association normande « Les Amis de Fort-Dauphin » et la municipalité. Deux jours avant, il a fallu acheter un zébu. Mais il devait remplir un certain nombre de critères. Pour ce que j’ai pu saisir, son âge était essentiel et sa robe devait être majoritairement blanche. Il y a sans doute d’autres pré-requis, mais je n’ai pas tout compris. Le sacrifice devait avoir lieu, juste avant le lever du soleil. J’ai assisté à la cérémonie. Elle était présidée par un genre de prêtre laïc qui n’était autre qu’un des adjoints du maire. Dans son malheur, le zébu a eu de la chance. Les sacrificateurs ont attendu que la pauvre bête se soit vidée de son sang pour commencer à la découper. Je ne donnerai pas de détails sur des égorgements auxquels j’ai assisté dans la région de Hautes-Terres, il y a deux ans. Mais si j’en crois les images tournées dans certains abattoirs Français par les militants de L 214, on n’a pas de leçon à donner aux malgaches.

Bien entendu la viande est distribuée aux proches, aux amis et aux notables. C’est un rituel immuable. « Ce partage de la viande permet de maintenir le lien social entre les différentes communauté », m’a précisé le conseiller municipal. Après ça, moi, j’ai évité de manger du zébu le reste de mon séjour. Et de retour en France, par solidarité, j’ai singulièrement réduit ma consommation de viande.

Si les malgaches vouent une véritable adoration au zébu, ils ne ratent jamais une occasion pour lui trancher la gorge.

Mam-Georges, le maire de Fort Dauphin, m’a expliqué qu’il y a 5 ans, il avait acheté un terrain à quelques kilomètres de Fort-Dauphin, où il souhaitait installer des serres. On lui a dit qu’il fallait absolument procéder au sacrifice d’un zébu, s’il voulait s’intégrer dans le village. La cérémonie s’est terminée par une grande fête et une distribution de viande aux habitants. Comme à chaque sacrifice, rien n’est perdu. Même les cornes et les sabots sont utilisés pour l’artisanat local. On en fait des manches de couteaux ou de fourchettes, des cuillères, des bracelets etc. Dans le zébu, comme dans le cochon, tout est bon !

Lors de ce séjour, Mam m’a proposé d’aller dans un village à une quarantaine de kilomètres de Fort-Dauphin, assister au plus grand marché aux zébus de la région, qui se tient tous les jeudis. Il voulait en acheter deux ou trois. Il m’a assuré qu’ils ne seraient pas destinés à produire de la viande. Il voulait juste les mettre dans un enclos pour produire de l’engrais naturel pour ses plantations. Mam est un passionné d’horticulture. Les zébus seraient vite rentabilisés selon lui, en comparaison aux engrais chimiques achetés dans le commerce. Le prix de ses zébus a été multiplié par deux quand le bureau de police installé sur place, a prélevé les taxes.

Le gardien de son terrain, qui lui aussi possède des zébus, a servi de conseiller technique et mené les négociations. Mam, lui, n’y connaît rien. Le gardien et son fils aîné ont ramené les trois bovins à pied. Cinq heures de marche soutenue. Un quatrième zébu était du voyage. Une jeune femelle achetée par le fermier-gardien, grâce au micro-crédit accordé par l’association des « Amis de Fort-Dauphin ».

Le problème c’est que le terrain de Man ne comportait pas d’enclos. En attendant sa construction, les zébus ont été confiés à un autre éleveur du village, moyennant finances. En règle générale, celui qui assure le gardiennage a toujours du mal à rendre les zébus qui lui sont confiés. Parce que ça lui rapporte un revenu complémentaire. Mais aussi et surtout qu’en agrandissant, même artificiellement, son cheptel, son prestige en est d’autant renforcé auprès de ses voisins.

Quand une semaine plus tard, l’enclos a été construit, Mam et son gardien ont voulu récupérer leurs bêtes. Mais pour se mettre les esprits dans la poche afin qu'ils veillent sur le bétail, il y a tout un protocole à respecter. Pas de sacrifice cette fois. Ce que j’ai pu comprendre, c’est qu’il était notamment question de la position de la lune dans le ciel. Car la restitution d’un ou de plusieurs zébus se fait la nuit, à certaines époques de l’année. A d’autres, c’est plutôt le jour. Mais pour les propriétaires légitimes, si toutes les conditions étaient requises, il n’en était pas de même pour celui qui devait les restituer. Nous sommes retournés sept jours de suite pour que les zébus de Mam et de son gardien puissent intégrer l’enclos flambant neuf. Malgré le respect scrupuleux des rituels et le dédommagement, le fermier qui a restitué les zébus, n’adresse plus la parole à Mam, ni à son gardien.
Quoi qu'il en soit, la nuit, lorsque les zébus sont dans leur enclos, ils produisent un excellent engrais naturel pour la plus grande satisfaction de leurs propriétaires. Et Mam me l'a assuré : ses zébus devraient mourir de leur belle mort. Ce qui ne l'empêchera pas de manger des tortues terrestres de Madagascar, espèce pourtant protégée.


PS : Je vous épargne les photos du sacrifice.