La moustache la plus célèbre du cinéma français est en berne.Associée à un œil égrillard et une allure de dandy, elle avait permis à Jean Rochefort d’imposer son personnage des films d’Yves Robert: Salut l’artiste, Le Grand Blond avec une chaussure noire, Le Retour du Grand Blond, Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis… Des titres qui pourraient lui servir d’épitaphe, tant ils sont ancrés dans la mémoire collective des Français, à force de rediffusions TV.Mais la carrière de Jean Rochefort (né le 29 avril 1930 à Paris d’un père cadre dans l’industrie pétrolière et d’une mère comptable, nous rappelle la bio officielle) ne se limite pas aux comédies seventies d’Yves Robert. Dans une filmographie riche de quelque 150films, chacun a son préféré.Que la fête commence de Bertrand Tavernier et Le Crabe tambour de Pierre Schoendoerffer lui valurent ses deux premiers César (le troisième fut «d’honneur»).Les Grands ducs, Tandem et Le mari de la coiffeuse, sa trilogie Patrice Leconte, en aurait bien mérité trois autres. Moins connu, Le Cavaleur de Philippe de Broca a ses partisans. Les cinéphiles se souviennent avoir aperçu sa moustache chez Bunuel (Le Fantôme de la liberté en 1974) et Robert Altman (Prêt à porter en 1984).Son dernier film par contre ( Floride de Philippe Le Guay en 2015), était passé plus inaperçu.Rochefort confiait alors, avec son élégance et son humour habituels, vouloir se retirer: «Si je ne veux pas faire de film d’épouvante, disait-il, mieux vaut s’arrêter».Mais c’était pour mieux rebondir à la télévision avec Les Boloss des Belles Lettres, série hilarante dans laquelle il «pitchait» des classiques de la littérature en langage «d’jeuns».Acteur d’un autre siècle, sa postérité est assurée sur Internet auprès des générations qu’il a aussi bercées en faisant la voix off des dessins animés de Winnie l’ourson. Les amateurs de chevaux rient encore de ses commentaires décalés des épreuves des jeux olympiques d’Athènes que France Télévisions avait eu la bonne idée de lui demander de couvrir, le sachant féru d’équitation. Les chanceux qui ont pu le voir sur scène, en 2007-2008, lire des textes qui l’avaient marqué (de Roland Barthes à Jean Yanne!), gardent en mémoire le fin lettré, imitateur à ses heures… La fameuse «bande du Conservatoire» (Marielle, Belmondo, Claude Rich, Bruno Cremer…), dont il était peut-être l’élément le moins chahuteur (mais pas le moins doué, contrairement à ce qu’il prétendait), vient de perdre un de ses derniers membres honoraires.Mais nous sommes tous orphelins de Jean Rochefort.