Quoiqu’on puisse penser de sa sélection cuvée 2017 (un petit cru), il faut reconnaître à Thierry Frémaux le sens du timing. Rajouté hors compétition et présenté en dernier, le nouveau film de Roman Polanski est une sorte de résumé des thèmes saillants de cette 70e édition. Il y est question de manipulation, de dédoublement, de schizophrénie, de traumas de l’enfance, d’affres de la création… Des thématiques très «Polanskiennes», que l’on retrouve aussi, comme par hasard, dans nombre de films de la sélection.
Le cinéaste franco-polonais adapte ici le roman à succès de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie.L’histoire d’un écrivain à succès, Delphine Dayrieux (Emmanuelle Seigner), dont le dernier roman, Vienne la nuit, inspiré par sa mère, a cartonné. Déjà éreintée par les sollicitations multiples et fragilisée par le souvenir, Delphine est bientôt tourmentée par des lettres anonymes l’accusant d’avoir livré sa famille en pâture au public. Tétanisée à l’idée de devoir se remettre à écrire, son chemin croise alors celui de Elle (Eva Green). La jeune femme est séduisante, intelligente, intuitive. Elle comprend Delphine mieux que personne. Delphine s’attache à Elle, se confie, s’abandonne. Leur amitié prend bientôt une tournure étrange: alors que Delphine songe à écrire sur la vie d’Elle celle-ci semble vouloir aussi lui voler sa vie…
La trame du roman de Delphine de Vigan était, à l’évidence, idéale pour Polanski qui l’adapte très fidèlement.Optant à juste titre pour le second degré, puisqu’une majorité de spectateurs connaîtront déjà l’intrigue, il en tire un petit thriller élégant et ironique, qui a fourni aux festivaliers une agréable récréation, au moment de faire leurs pronostics et leurs valises.
Emmanuelle Seigner et Eva Green s’amusent beaucoup du jeu de miroir qu’il leur tend.La première surjouant le naturel, en jeans et pulls trop grands.La seconde affichant, dès la première scène, un sourire de psychopathe qui ne quittera ses lèvres que lors de mémorables séquences de pétage de plombs (ne lui confiez jamais un rouleau à pâtisserie!).
Certes, Polanski n’a pas eu à forcer beaucoup son talent pour boucler cet exercice de style qui restera mineur dans la filmographie.Il en profite quand même pour dire deux ou trois choses intéressantes sur la création et la célébrité.«Que tu le veuilles ou non, fait-il dire par exemple à Elle parlant à l’écrivaine harcelée par ses fans, tu es responsable de l’amour que tu as suscité». Se sent-il, a contrario, responsable du déferlement de propos haineux, que chacune de ses apparitions publiques suscite désormais sur les réseaux sociaux?On peut être certain, en tout cas, qu’il s’est posé la question.