La polémique et l’agitation (pour ne pas dire la paranoïa) qui ont entouré la présentation du film de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, en mai dernier au Festival de Cannes, risquent-elles de rebondir à l’occasion de sa sortie en salles, mercredi? On peut le craindre, dans le climat de stigmatisation et de tensions qui règne ces jours-ci dans notre pays. Le film présente, on le sait, une version de la lutte pour l’indépendance algérienne qui a pu être qualifiée d’ « anti- française » et de « négationniste » par certaines voix, dont celle du député des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca. En cause : deux scènes du début du film, dans lesquelles une famille algérienne se fait déposséder et expulser de ses terres par un colon français et des images d’Européens tirant de leur balcon sur des manifestants arabes, pendant les événements de Sétif, le 8 mai 1945. Du point de vue des rapatriés, ces scènes sont évidemment choquantes et visent à stigmatiser l’action des Français d’Algérie. À Cannes, le réalisateur s’en est défendu en rappelant que son film précédent, Indigènes, avait déjà été qualifié d’anti-français et en affirmant que lors de la sortie du film les spectateurs pourraient juger sur pièce de son objectivité : « Ils verront bien qu’il n’y a aucune animosité dans mon propos » avait-il conclu. « Un western » De fait, s’agissant d’une fiction et non d’une reconstitution historique, les deux scènes incriminées ne sont là que pour justifier l’engagement futur des trois héros (interprètes par Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila) dans la lutte pour l’indépendance et pour dramatiser l’intrigue, qui porte essentiellement sur le destin des trois frères, engagés bon gré mal gré dans un combat qui les dépasse. Bouchareb ne s’attarde pas sur les détails de Sétif (qui a commencé? combien de morts européens, combien de musulmans?) et n’en donne aucune version particulière, laissant aux historiens le soin de faire la lumière sur ces événements tragiques. Idem pour la répression et la lutte fratricide à laquelle se sont livrés les deux mouvements indépendantistes algériens (FLN et MNA) sur le sol français. Le film les renvoie dos à dos et utilise surtout le contexte pour avoir des scènes d’action à filmer : « Je voulais aussi que ce soit un western » explique-t-il. Naïveté? Au-delà de ses qualités intrinsèques (belle mise en scène, bonne interprétation) et de ses défauts criants (manque de souffle), la question que pose Hors-la-loi est : peut-on évoquer dans ce pays, presqu’un demi-siècle après, les événements d’Algérie, sans heurter les sensibilités et provoquer la polémique? Visiblement, non.