Gainsbourg et Bashung disparus, Johnny en pré-retraite forcée, Polnareff perdu de vue, Dutronc en tournée de relevage de compteurs... Christophe est le dernier des dinosaures yéyés encore réellement en activité. Rock, chanson, techno, electro, il a habité tous les genres, leur a imprimé sa marque et les a souvent magnifiés. D’»Aline» à «Succès Fou», en passant par «Les Marionnettes» et «Les Mots Bleus», on ne retient souvent de lui qu’une poignée de chansons d’amour, classées au patrimoine national, alors que sa production, étalée sur près d’un demi-siècle («Aline» est sortie en 1965 ), est la plus importante/foisonnante/aventureuse de la scène française.
En juin 2008, paraissait « Aimer ce que nous sommes » (AZ Universal), son dernier album en date, fruit de presque neuf années de travail et d’expérimentations sonores. Un nouveau chef-d’œuvre de la classe de « Bevilacqua » qui en 1996 (un an avant le premier Daft Punk) révolutionna le paysage sonore de la variété francophone. Une œuvre à l’intensité bouleversante que Christophe porte depuis sur scène, où il la joue en intégralité avant de dérouler, après entracte, les succès fous qui ont fait sa légende.
Après trois soirées mythiques à l’Olympia, il y a presqu’un an et un concert royal au Château de Versailles sur les eaux du bassin Neptune devant près de 7 000 spectateurs, le chanteur Beau Bizarre a entamé une tournée de province qui le conduit cette semaine pour deux soirs dans le Var, à Hyères et Sanary. L’occasion d’aller lui rendre visite dans son home studio du boulevard du Montparnasse où, à deux pas de la Closerie des Lilas, ont été créés les sons d’»Aimer ce que nous sommes».

« Ma musique est instinctive, purement émotionnelle »
On le trouve chez lui à la nuit tombée, quasiment en tenue de scène, les yeux cachés derrière des lunettes noires malgré la lumière tamisée, assis au piano, qui trône au milieu du salon. Ambiance Entretien avec un Vampire. La pièce est envahie d’instruments de musique, de meubles et d’objets chinés, de livres, de photos noir et blanc , de ses collections de postes de radio des années 30-40 et de disques vinyles (du blues essentiellement), d’un juke-box (en panne), de synthétiseurs vintage et de matériel électronique (également en panne, d’où, confesse-t-il, sa présence au piano).
Une console d’enregistrement multipiste surplombée d’un antique micro de studio fait face à la fenêtre qui donne sur le boulevard. C’est là que Christophe pose ses voix en regardant les voitures glisser sur l’avenue : « Parfois on les entend un peu sur les bandes, ça ne me gêne pas ». On le conçoit, connaissant sa passion pour les bagnoles (de sport et italiennes de préférence) : « De l’histoire ancienne, jure-t-il. Cela fait dix ans que je n’ai plus de permis. Ils les font a points maintenant vous savez ? ». On sait.
« L’album Bevilacqua a marqué un tournant, raconte Christophe. Je venais de quitter Dreyfus et cela ne m’amusait plus d’enregistrer en studio. Je faisais déjà les faces B des 45 tours chez moi.Depuis, j’y enregistre pratiquement tout. Je ne vais en studio que pour les cordes, les chœurs et quelques instruments dont je ne joue pas. Pour «Aimer ce que nous sommes», on est allés à Londres et à Seville, faire les cordes avec Christophe Van Huffel. Carmine Appice nous a rejoint à Paris pour jouer de la batterie. Personne ne joue comme lui ».

"Ce n'est pas du rock, ni de la variété, c'est ... varié"

Comment l’inspiration vient-elle à Christophe ? « Je ne cherche pas, ce sont les chansons viennent à moi. Il y a bien longtemps que je n’ai pas composé à la guitare ou au piano avec un couplet et un refrain. Je cherche plutôt des choses qui n’existent pas. Ce qui me plaît, c’est le son. Ca part de là. Ma musique est instinctive purement émotionnelle. Ce n’est pas du rock, ni de la variété, c’est... varié ».
Variée, la conversation avec Christophe l’est également. On passe des courses de voitures («j’étais doué») au cinéma (qu’il adore), à ses dernières acquisitions sur internet (un original Sun de Little Richards, un 45 tours introuvable de Joe le Taxi), aux photos de spectateurs de ses concerts (qu’il prend et compile dans des albums), aux vidéos des derniers concerts parisiens de Jerry Lee Lewis ou de Little Richard qu’il a intégralement filmés malgré les remontrances des videurs, aux courts-métrages qu’il monte sur iMovie et dont les spectateurs de l’Olympia ont eu un aperçu, à ses souvenirs de Nice où il a habité un an, près de la Place Massena, pour l’amour d’une fille... La nuit n’y suffirait pas. Que fera-t-il après cette tournée ? « Un nouvel album, plus dépouillé sans doute ». Que lui inspire la retraite d’Hallyday ? « Je comprends qu’il en ait marre, mais on n’a pas eu la même vie et on n’est pas dans le même trip, musicalement ni intellectuellement ». Est-il allé voir Polnareff lors de son éphémère retour? « J’avais les places mais une copine m’a appelé pour me dire que Jerry Lee jouait ce soir-là à Paris. Il n’y avait pas photo. Contrairement à ce qu’on croit, je n’ai jamais trop aimé sa musique à part Le bal des Lazes ». Qu’aurait-il fait lui, s’il n’avait pas été chanteur? « Peut-être couturier. C’est un métier d’artisan ».
En prenant congé, on songe à cette phrase de Walter Pater (essayiste du XIXe siècle) citée en référence de l’album Beau Bizarre : « C’est l’étrangeté ajoutée à la beauté qui confère un caractère romantique à l’art ».