Chambre avec vue... sur le Paradis
« A quelques encablures de Cannes et de la Croisette, semaine d’été
paradisiaque sur une île préservée de la civilisation : 37 euros par jour,
en pension complète »...
Publiée sous cette forme, l’annonce déclencherait, à n’en pas douter, un
tel afflux de demandes de réservations que Pierre Marie, le frère
hôtelier de Saint Honorat, en perdrait son flegme légendaire et que le
site internet de l’abbaye exploserait sous des milliers de connexions
instantanées. La formulation, pourtant, ne serait pas mensongère. A vingt
minutes de bateau de la Croisette, l’île de Saint Honorat est un paradis
de nature préservée, de silence et de paix, dont quelques-uns seulement
des visiteurs estivaux connaissent le secret.
Une tradition séculaire d’hébergement
De tout temps, les abbayes ont hébergé des visiteurs. Celle de Lérins ne
fait pas exception à la règle. « L’accueil fait partie de la tradition
cistercienne, explique le père supérieur de Lérins, Vladimir Gaudrat. La
règle de Saint-Benoît veut que l’étranger soit accueilli comme si le
Christ en personne venait visiter l’abbaye ».
Depuis le milieu des années soixante, l’abbaye de Saint Honorat a
développé son accueil hôtelier avec, aujourd’hui, une trentaine de
chambres disponibles pour des séjours de deux nuits minimum et une semaine
maximum pour assurer une certaine disponibilité. Mieux vaut, néanmoins,
s’y prendre à l’avance pour réserver car le taux d’occupation est maximal.
Aucune formalité n’est requise, il n’est même pas nécessaire d’être
chrétien et l’on peut venir seul ou en couple. Le frère hôtelier
s’assurera seulement, au moment de la réservation, que « la demande
correspond bien à l’offre » : « On vient ici, en principe, pour se
retrouver, faire l’expérience du silence et de la prière, indique frère
Pierre -Marie. Même si aucun office n’est obligatoire, une présence
minimale est appréciée » La participation aux tâches ménagères, l’est
également.
Les « retraitants » sont logés dans l’enceinte de l’abbaye, mais dans une
aile différente de celle des moines. La chambre est d’un confort
spartiate, avec un petit lit, un lavabo, une penderie, une chaise et un
petit bureau. Pas de mini bar, ni de TV, mais la Bible est fournie. Ca
sent bon le vieux bois et la cire. La fenêtre donne sur le grand jardin où
les retraitants vont se promener, lire et étendre leur linge. Les douches
et les WC sont au bout du couloir. On y accède par un cloître fermé autour
d’un jardin luxuriant. Seuls le son des cloches de l’abbaye, le cri des
mouettes et le murmure assourdi des offices, parviennent jusque-là.

Calme, silence et spiritualité
« L’expérience du silence » saisit le visiteur dès qu’il a quitté la
navette touristique et pris le chemin de terre qui conduit à l’abbaye. Ici
tout n’est que calme, silence et spiritualité. C’est particulièrement
troublant au moment des repas, qui sont pris en commun mais sans parler.
Se retrouver, le premier soir, à table avec vingt-cinq inconnus, sans
échanger le moindre mot, tandis qu’une bande enregistrée diffuse en fond
sonore une lecture de la vie des Saints, est assez surréaliste. On
s’habitue pourtant étonnamment vite à communiquer d’un simple regard (Du
sel ? De l’eau ?) ou d’un mouvement de menton (Un peu plus de pâtes ?) et
les règles de base de la vie en communauté (débarrasser, ranger, faire sa
vaisselle) sont rapidement intégrées. C’est l’anti Club-Med absolu. La
seule personne qu’on risque de rencontrer ici, c’est soi-même ; Dieu,
éventuellement.

Vigiles, Laudes, Tierce...
Mais quelle tranquillité ! Ne pas avoir à entretenir d’activité sociale,
ne pas faire la conversation, n’avoir de compte à rendre à personne, ne
pas se soucier de l’heure, ni des autres, laisse une plus grande part de
cerveau disponible pour l’introspection qu’une soirée de télé réalité sur
TF1. Il n’y a d’ailleurs, ici, ni télévision, ni radio, le téléphone
portable est proscrit et l’usage d’internet (acheminé sur l’île en Wimax
depuis le palais des Festivals de Cannes) est réservé aux frères qui
administrent l’hébergement et le commerce du vin de l’abbaye.
On a donc tout loisir de réfléchir à sa condition d’humain et d’assister à
l’un ou l’autre des nombreux offices qui rythment la « journée ordinaire »
des moines : Vigiles (4 h 30), Laudes (7 h 45), Tierce (9 h 45), Messe (11
h 25), Sixte (12 h 35) None (14 h 40), Vêpres (18 h 00), Chapitre et
Complies (20 h 00). Ces dernières, chantées par le chœoeur polyphonique des
moines, dans le clair obscur de l’église abbatiale, sont particulièrement
impressionnantes. Dire que l’endroit baigne dans la spiritualité est une
évidence qui frappera même le plus mécréant des visiteurs.
Dans la lumière rasante du soir, faire ensuite, à pied, le tour de l’île
sans rencontrer âme qui vive, ni entendre d’autres sons que ceux des
cloches, des mouettes, des merles et des faisans, en humant les embruns et
le parfum des eucalyptus, donne une idée du Paradis terrestre.
Et retrouver, le lendemain, le fracas de la civilisation sur le parking du
port, après avoir pris la navette de retour, permet de mesurer tout le
prix de cette parenthèse unique, hors du monde et du temps.

 

D'autres photos dans l'album St Honorat.