Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit, Parlez-nous des Enfants.



Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.







Comment pourrais-je m'en aller avec calme et sans regret ?

Non, ce n'est point sans une profonde blessure au cœur que je devrai faire mes adieux à cette cité.

J'ai passé entre ces murs de trop longues journées de douleur et de trop longues nuits de solitude.

Lorsqu'arrive le moment de se libérer de la souffrance et de la solitude, comment le faire sans regret?

J'ai laissé trop de mon âme au détour de chacune de ces rues comme mille images dispersées de ma mémoire et mon attente s'est communiquée; d'elle a essaimé cette multitude d'enfants nus qui errent de-ci de-là dans les collines et que je ne saurais quitter sans que m'en pèse la douleur.

Ce n'est pas une couronne que je pourrais rejeter du jour au lendemain, c'est une peau qu'il me faut déchirer de mes propres mains.

Ce n'est pas quelques souvenirs que je laisse derrière moi, mais un cœur que ta faim et la soif ont adouci.

Cependant je ne peux différer mes adieux plus longtemps.

La mer qui rappelle toute chose me réclame et je dois prendre le large.

Car séjourner ici encore, malgré les heures brûlantes de la nuit, c'est transir et devenir de glace et s'enfermer dans un moule.

Il y a tant de choses ici que j'emporterais volontiers avec moi.

La voix ne peut emporter dans son envol la langue et les lèvres qui lui ont donné des ailes.

C'est seule qu'elle doit s'élancer dans l'éther.

Et ce sera seul et sans emporter son nid, que l'aigle prendra son envol à la face du soleil.




Comme il redescendait la colline, il se retourna encore une fois vers la mer.

C'est alors qu'il reconnut les marins sur la proue du bateau qui approchait du port.

C'était les hommes de son pays.

Vous qui tant de fois avez navigué dans mes rêves, vous êtes maintenant venus jusqu'à cette heure de ma métamorphose, qui sera de tous mes songes, le plus profond.

Je suis prêt, et toutes voiles dehors, mon désir ardent n'attend que le vent.

Et je me tiendrai parmi vous, debout comme un marin parmi les marins.

Et je serai à toi, telle une goutte éperdue rejoignant l'océan sans entraves.

Comme il marchait, il vit que des hommes et des femmes quittaient en grand nombre champs et vergers depuis les terres les plus lointaines, et se hâtaient aussi vers les portes de la cité.

Et il les entendit évoquer son nom et se héler d'un champ à l'autre pour annoncer la venue du vaisseau.

Lorsqu'il entra finalement dans la cité, tout le peuple vint à sa rencontre et tous l'imploraient de tout leur cœur comme d'une seule voix.

Tu as été un déferlement de soleil dans notre crépuscule et ta jeunesse nous a comblés de rêves à rêver.

Maintenant notre amour te réclame et veut se dévoiler devant toi.





Elle l'interpella alors en lui disant : Prophète de Dieu, en quête d'apogée, longtemps tu as scruté l'horizon dans l'espoir d'y apercevoir ton vaisseau.

Combien brûlant doit être ton désir de rejoindre la terre de tes souvenirs, où résident depuis toujours tes plus grands espoirs; et si grand que soit notre amour, il ne voudrait pas te retarder ni nos besoins te retenir.

Dans ta profonde solitude tu as veillé au cœur de nos jours, et dans ta veille lumineuse tu nous entendais pleurer et rire dans notre sommeil.

Enfin, vous endormir avec en votre cœur une prière pour l'être aimé et sur vos lèvres un chant de louanges.




Et il répondit : alors un homme riche dit : Parle-nous du Don.

Vous donnez peu lorsque vous donnez de vos biens.

C'est lorsque vous donnez de vous-mêmes que vous donnez vraiment.

Que sont vos biens sinon des choses que vous gardez jalousement dans la crainte d'en avoir besoin plus tard?

De quel profit aura été la prudence du chien, enterrant si profondément ses os dans le sable alors qu'il suit les pèlerins vers la ville sainte, qu'il ne peut les retrouver?

La peur de connaître le besoin n'est-elle pas le besoin lui-même ?

Et la crainte de la soif, alors même que votre puits est plein, n'est-elle pas justement la soif qui ne peut être apaisée?

Il y a ceux qui donnent peu alors qu'ils sont dans l'abondance, et qui, lorsqu'ils donnent, le font pour gagner quelque crédit dans l'esprit d'autrui; et leurs motifs inavoués achèvent de rendre leurs dons douteux.

Et il y a ceux qui ont peu, mais qui donnent tout.

Ceux-là croient en la vie et dans la générosité de la vie, c'est pourquoi leur coffre n'est jamais vide.

Ils donnent comme la toute-épice, là-bas, dans la vallée, répand son parfum à l'entour.

Tout ce que vous possédez un jour sera donné; Donnez donc maintenant afin que votre heure de générosité soit et que ce ne soit celle de vos héritiers.

Vous dites volontiers: "Je veux bien donner, mais seulement à ceux qui le méritent".

Ce n'est pas ce que disent les arbres de vos vergers ni les troupeaux de vos pâturages.

Au contraire, considérez ces dons comme des ailes avec lesquelles vous pourrez vous élever avec celui qui donne.

Car si vous vous sentez par trop endettés, vous finirez par douter d'une générosité qui a la terre inépuisable pour mère, et Dieu pour père.

Si seulement vous pouviez vivre du parfum de la terre et, comme la plante, vous contenter de lumière.

Lorsque vous tuez une bête, dites-lui dans votre cœur: " Par cette même loi inexorable qui t'abat, je serai moi aussi abattu et consommé.

Quand l'hiver venu vous boirez de ce vin, ayez une chanson au cœur pour chaque coupe que vous en aurez tiré.

Et qu'il y ait dans votre chanson une pensée pour les jours d'automne, pour la vigne et pour le pressoir.

Vous avez toujours entendu dire que le travail était une malédiction et le labeur une misère.

Mais je vous dis maintenant: lorsque vous travaillez, vous accomplissez en partie le plus vieux rêve de la terre dont vous êtes devenus les dépositaires aussitôt que ce rêve advint.

Mais si, dans un moment de désarroi, vous voyez dans votre naissance une affliction et dans la nécessité d'assurer votre subsistance, une malédiction dont vous portez la marque sur le front, alors je vous dirais: seule la sueur de votre front saura en effacer la marque infamante.

Vous avez également entendu dire que la vie n'est que ténèbres et dans votre lassitude, vous ne pouvez que répéter ce que disent les éreintés.

Lorsque vous travaillez avec amour, vous resserrez vos liens envers vous-mêmes, envers les autres et envers Dieu.

La tristesse devient une joie lorsqu'on la connaît mieux.

Plus profonde est la blessure laissée par les chagrins, d'autant elle pourra contenir la joie.

Quand vous éprouvez la joie, sondez votre cœur; il vous apparaîtra que seul ce qui vous a procuré du chagrin peut maintenant vous procurer de la joie.

Et quand vous êtes plongés dans le chagrin, sondez à nouveau votre cœur et vous verrez qu'en vérité vous regrettez ce qui faisait votre bonheur.

Certains d'entre vous disent volontiers: " La joie est sans limite et plus grande que la tristesse".

Bâtissez d'abord en imagination un berceau de verdure au cœur de la forêt avant de vous ériger une maison dans l'enceinte de la ville.

Par le rêve, ne lui arrive-t-il pas de quitter la ville pour se perdre dans les broussailles et se hisser au sommet des collines?

Il faudra attendre quelque temps avant que les murs de la ville cessent de séparer vos champs de la chaleur de vos foyers.

Vous n'accepterez pas de vous laisser rogner les ailes pour en franchir la porte, ni de courber la tête de crainte de ne heurter le plafond, ni de retenir votre souffle de peur que les murs ne se rendent et ne s'écroulent.



Et il répondit : le tisserand dit : Parle-nous des Vêtements.

Vos vêtements ne font que tenir votre beauté à l'abri des regards, mais ils ne cachent pas ce qui est disgracieux.

En cherchant par vos vêtements à ménager autour de vous un espace d'intimité, vous risquez de vous enfermer dans un carcan et de vous enchaîner.

Puissiez-vous vous dépouiller davantage pour aller au-devant du soleil et du vent.

Car le souffle de la vie est dans les rayons du soleil et la main de la vie est dans le vent.

Certains d'entre vous disent: " C'est le vent du Nord qui a tissé les vêtements que nous portons.

Et son ouvrage fini, il éclata de rire au fond des forêts.

N'oubliez pas qu'il n'est de meilleur bouclier contre les yeux concupiscents que la pudeur elle-même.

Et lorsqu'il n'y aura plus de concupiscence, la pudeur n'apparaîtra-t-elle pas comme une entrave et une souillure de l'esprit?

N'oubliez pas que la terre aime sentir vos pieds nus et que les vents font leur délice de jouer avec vos cheveux.



Un marchand dit : Parle-nous de l'Achat et de la Vente.

C'est en faisant commerce des dons de la terre que vous trouverez l'abondance.

Cependant, si ces échanges ne se font pas dans un esprit d'amour et de justice ils pourront entraîner la jalousie et l'indigence.

Et si vous voyez arriver des chanteurs et des danseurs et des joueurs de flûte, achetez aussi ce qu'ils ont à vous offrir.

Et, quand le moment vient de vous séparer sur la place du marché, Veillez à ce que nul ne reparte les mains vides.

Car le maître esprit de la terre ne trouvera de repos et ne se laissera porter par les vents, tant que les besoins du dernier d'entre vous n'auront été satisfaits.

C'est lorsque votre esprit se laisse errer au gré des vents et lorsque vous êtes seuls et laissés à vous-mêmes, que vous commettez des fautes envers les autres et par le fait même envers vous-mêmes.

Et comme l'éther il ne soulève que ceux qui ont des ailes.

Ceci dit, c'est de l'homme en vous que j'aimerais vous entretenir.

Car c'est bien lui et non pas votre moi-divin ou encore le gnome égaré dans les brouillards, qui sera confronté au crime et son châtiment.

Car à la face du soleil ils sont comme les fils noirs et les fils blancs dans un même tissu.

Et lorsque le fil noir se rompt, le tisserand vérifie tout le tissu, et il examine aussi le métier.

Qu'il mette aussi le cœur du mari sur le plateau de la balance et mesure son âme à la sienne.

Et demandez à celui qui veut châtier l'offenseur d'examiner l'esprit de l'offensé.

Comme des enfants construisent des châteaux de sable au bord de la mer pendant des heures pour ensuite les détruire avec de grands éclats de rire.

Ils ne voient que leurs ombres, et ils ont fait de celles-ci leurs lois.

Oui, dans les jardins du temple et sous les murs de la citadelle, j'ai vu le plus libre d'entre vous porter sa liberté comme un joug et des bracelets de fer.

Et j'ai senti que mon cœur saignait, car vous ne serez vraiment libres que lorsque le désir d'être libre deviendra pour vous une entrave, et lorsque vous cesserez de parler de la liberté comme d'un but et d'une consécration.

S'il vous apparaît que c'est en renversant le despote que vous serez libres, assurez vous d'abord de détruire le trône que vous lui avez érigé dans votre cœur. Car comment un tyran peut-il imposer sa loi à des êtres libres et fiers s'il n'existe pas une tyrannie au coeur de leur liberté et une honte au coeur de leur fierté?

Votre âme est souvent le théâtre de combats où la raison et le jugement s'opposent à vos passions et à vos appétits.

Bien entendu, vous veillerez à ne pas considérer davantage un invité qu'un autre, car prodiguer plus d'honneurs à l'un d'eux, c'est à coup sûr perdre l'amour et la confiance des deux.

Réfugiés dans les collines, à l'ombre fraîche des trembles, alors que monte en vous la paix et la sérénité des champs et des prairies qui s'étendent alentour, laissez votre cœur dire dans son silence: "La raison est la demeure de Dieu.

Ses forêts, il vous appartient aussi d'assurer votre repos dans la raison et de tout entreprendre avec passion.



Une femme parla, disant, qu'est-ce que la Douleur ?

Les souffrances sont les déchirures par lesquelles les germes de votre compréhension percent leur enveloppe.

Et tout comme il faut inévitablement que le noyau du fruit se casse pour que le cœur puisse mûrir au soleil, ainsi devez-vous connaître la douleur.

Vous saurez vous soumettre sans difficulté aux saisons du cœur, comme on règle sa vie sur le passage des saisons.

Et vous resterez alertes et sereins aux hivers de votre tristesse.

Vos souffrances sont en grande partie infligées par vous-mêmes.

Elles sont ce remède amer par lequel le médecin qui est en vous soigne le malade en vous.

Aussi accordez votre confiance à ce médecin, et buvez son remède en toute quiétude et sans vous plaindre: bien qu'elle vous paraisse brutale et sans ménagement, sa main est guidée par la main bienveillante de l'Invisible.

Et si elle brûle vos lèvres, la coupe qu'il vous tend, n'en a pas moins été façonnée par le Potier lui-même, d'une argile détrempée de Ses larmes sacrées.



Un homme dit: Parle-nous de la Connaissance de soi.

Vos cœurs contemplent en silence les secrets du jour et de la nuit.

Mais vos oreilles languissent de s'emparer de cette connaissance du cœur.

Vous voudriez cerner avec des mots ce que vous avez toujours pressenti par la pensée.

Et sans doute voulez-vous aussi toucher du doigt le corps nu de vos songes.

Il est aussi bien que ce soit ainsi.

La source profonde de votre âme doit jaillir et ruisseler sourdement vers la mer.

Les trésors de vos profondeurs abyssales étincelleront dès lors dans votre regard.

Ce n'est pas avec la perche ou la sonde que vous connaîtrez la profondeur de votre savoir.

Car votre être est une mer immense.

Ne dites pas: "J'ai trouvé la vérité ", mais plutôt, "J'ai trouvé une vérité.

Ne dites pas: "J'ai trouvé la voie unique de l'âme ", Dites plutôt: "Je me suis découvert à l'âme dans mon cheminement.

Car l'âme chemine par tous les sentiers.

L'âme n'avance pas sur les grand-routes bien tracées; elle ne pousse pas aveuglément comme le roseau.

L'âme s'ouvre à sa propre déhiscence comme un lotus aux innombrables pétales.

Nul homme ne peut vous révéler ce qui n'était déjà en éveil dans l'aube où vous parvenez par vous-mêmes à la connaissance.

Le maître qui chemine dans l'ombre prestigieuse d'un temple, avec une suite de disciples, ne nous donne pas de sa sagesse, mais plutôt de sa foi et de son amour.

L'astronome saura mieux vous parler des grands espaces, qu'il en aura une plus grande compréhension, mais il ne pourra vous donner cette compréhension.

Le musicien peut faire pressentir par son chant les résonances profondes de l'univers, mais il ne peut vous donner l'oreille qui les entendra, ni la voix qui s'en fera l'écho.

Car en amitié, les pensées, les désirs et les attentes sont donnés et partagés sans paroles, avec une joie discrète.

Quand vous ne parvenez plus à vous recueillir dans la solitude de votre cœur, vous êtes tout entier sur vos lèvres, et les sons qui s'en échappent ne sont alors que passe-temps et dérobade.

Et presque tout ce qui éclot dans votre parole et dans la pensée est mort-vivant.

Il y a ceux qui, parmi vous, se réfugient dans les bavardages par peur d'être laissés à eux-mêmes.

Car dans le silence de leur solitude ils se retrouvent nus et préfèrent se dérober.

Vous venez à la prière dans la détresse et le besoin.


Alors un homme, que l'on ne voyait dans la cité qu'une fois l'an,
s'avança et dit : Parle-nous du Plaisir.

Le plaisir est un chant de liberté.

C'est l'éclosion de vos désirs, Mais n'est pas leur fruit.

C'est l'oiseau en cage prenant son essor, Mais ce n'est pas le vaste ciel où il vole.

Certes, le plaisir est un chant de liberté.

Et s'il est une chose à laquelle j'aspire, c'est de vous voir le chanter de tout votre cœur; Pourtant je ne permettrais pas que vous perdiez votre souffle à le chanter.

Vos jeunes gens, pour la plupart, recherchent la jouissance comme si c'était tout ce que l'on peut désirer, et ils sont jugés et réprimandés pour cela.

La jouissance a sept sœurs, et la moindre d'entre elles dépasse la jouissance encore en beauté.

Ceux-là devraient plutôt penser à leurs plaisirs de jadis avec gratitude, comme d'une bonne récolte après l'été.

Toutefois, si cela peut leur donner bonne conscience d'entretenir le remords, laissez-leur ce réconfort.

Et il y a, parmi vous, ceux qui ne sont plus assez jeunes pour se mettre en route et qui ne sont pas encore assez vieux pour en donner le témoignage, et qui, dans la peur d'entreprendre la quête ou de se la rappeler, renoncent à tous les plaisirs pour ne pas être accusés d'avoir négligé l'esprit ou de l'avoir offensé.

Ils retirent néanmoins une satisfaction dans le fait même d'y renoncer.

Et ils sont de ceux qui trouvent un trésor alors qu'ils creusaient fébrilement la terre de leurs mains.

Le rossignol pourrait-il troubler le calme profond de la nuit, et les lucioles pourraient-elles briller au détriment des étoiles?

Mais comment savoir ce qui resurgira demain, de tout ce que nous nous sommes épargnés aujourd'hui?

Car le corps lui-même sait trop bien ce qui lui échoir et quels sont ses besoins légitimes et ne se laissera pas illusionner.

Et tout le plaisir qu'a la fleur de céder à l'abeille ce dont elle fera son miel.

Et les passionnés disent: " Il n'en est rien, la beauté est chose redoutable et puissante.

Mais les gaillards disent : " Nous entendons son cri dans les montagnes, et avec ses clameurs, un martèlement de sabots, un bruissement d'ailes et un rugissement de lion.

Et dans l'étau des chaleurs d'été les moissonneurs disent: "Nous l'avons vue virevolter avec les feuilles de l'automne, et nous avons aperçu quelques flocons de neige dans ses cheveux.

Voilà ce que vous avez dit de la beauté, entre autres choses.

Mais à chaque fois, vous n'avez pas parlé de la beauté et ne parliez que de vos désirs insatisfaits.

Et la beauté n'est pas la satisfaction d'un besoin mais la recherche d'une extase.

Gens d'Orphalese, la beauté c'est la vie lorsqu'elle se dévoile sous son jour le plus sacré.

La Beauté est l'éternité lorsqu'elle se contemple en un miroir.

Et vous êtes cette éternité et aussi ce miroir.

Et il dit : un vieux prêtre dit: Parle-nous de la Religion.

Et n'est-elle pas aussi dans ce qui n'est ni acte ni pensée, mais le sentiment d'un mystère et sa révélation toujours renouvelée dans l'âme, même pendant que de nos mains nous équarrissons la pierre et tissons sur le métier?

Car qui peut séparer la foi en son cœur des actes de ses mains ou encore, ce qu'il croit de ce qui l'occupe?

Le vent et le soleil ne feront pas d'accrocs dans sa peau.

Et celui qui règle chacune de ses conduites en fonction d'une morale met le rossignol en cage.

Les chants les plus libres ne s'élèvent pas entre les murs de prisons où derrière des barbelés.

Quand vous aurez bu au fleuve du silence, alors vous chanterez vraiment.

Et quand vous serez parvenus au sommet de la montagne, alors commencera enfin votre ascension.





(extrait du recueil Le Prophète)